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EL Hadji Malick SY entre rénovation et réformation

EL Hadji Malick SYentre rénovation et réformation

Serigne Mbaye BA

Homme de vision, El hadji Malick SY était un géo-stratège et un géopoliticien doué d’une rare intelligence, sans doute des plus remarquables qu’il n’ait jamais été donné à une personne en terre sénégalaise. Il était doté d’une ouverture d’esprit remarquable, d’une extrême sensibilité autant que d’une haute perception.

A la suite de ses pérégrinations, il acquit une profonde compréhension, vision éclairée et une stratégie efficiente de la lutte anticoloniale. Il avait su que les résistances héroïques, islamiques et patriotiques, malgré le caractère noble de leur combat, n’avaient pas réussi grand-chose face aux colonisateurs mieux armés, matériellement.

El hadji Malick SY était porteur d’un projet de société qui allait changer le cours de l’histoire de notre pays. Il avait très tôt conscience qu’une lutte armée contre l’envahisseur aurait eu des conséquences effroyables. Il avait compris que le succès de sa mission était foncièrement lié à la survie de la population, parce que chaque vie était un enjeu pour l’action qu’il comptait lancer.

Donc, sa mission était de préserver les vies d’abord, pas de leur nuire voire les détruire, en engageant les populations dans des conflits armés dont l’atrocité des résultats des premières expériences n’avaient d’égale que la férocité de l’adversaire. Pour le fondateur de l’université populaire de Tivaouane, toutes les vies se valent, mais celles des musulmans sont précieuses. Donc, il fallait les protéger.

Pour réussir ce pari, il a compris que son succès dépendait étroitement du respect de l’autorité coloniale de fait qui, quoi que l’on dise, avait réussi à instaurer une pacification certaine de l’environnement social et géographique qui, pour lui était un terreau fertile pour son prosélytisme islamique. Il mena dès lors, une politique basée sur l’intelligence, le respect mutuel, le sens de la responsabilité. Il était, pour lui, plus avantageux aux populations de renoncer momentanément à la résistance armée et d’organiser une autre bataille plus pacifique pour mieux contrer l’entreprise d’aliénation coloniale par l’éveil des consciences. Et cette entreprise pacifique fut admise tout de suite dans le cœur de ses concitoyens qui épousèrent dès lors sa nouvelle action, celle de la rénovation des consciences, plus qu’une résistance armée de plus à l’issue connue d’avance. Son dessein était de faire pièce à l’assimilation de sorte que si le colon occupait l’espace géographique, il ne règnerait pas les consciences. A ce sujet, le professeur Iba Der THIAM rappelle : « Convaincu que le plus fort ne serait jamais assez fort tant qu’il n’aurait pas régné sur les consciences, El Hadji Malick SY décida de devancer le système colonial dans cette voie. »

De même, persuadé que là où les fusils avaient échoué, le savoir pouvait réussir, EL Hadji Malick SY décida de commencer par la diffusion de l’enseignement islamique pour asseoir les bases d’une nouvelle identité culturelle, pour mieux réarmer idéologiquement et spirituellement la population sénégalaise, gage d’une nouvelle vie solide, équilibrée et épanouie.

Ainsi, cette contribution est un prétexte pour revisiter d’une manière concise, son ouvrage intitulé Kifâya Ar-râghibîn, dans lequel l’auteur place l’homme au cœur de son discours, en tant que dépositaire de son message. Une œuvre dans laquelle il traite des questions juridiques et sociologiques qui n’ont jamais reçu de réponses satisfaisantes de la part des savants du terroir. Tout d’abord faisons le résumé de l’ouvrage :

Kifâya Ar-râghibîn est une monographie qui traite des questions juridiques1 et sociales2 qui sont toutes liées à la foi et à la loi islamiques. Une interprétation de l’auteur qui perce sous sa lutte quotidienne contre les transgresseurs de la foi musulmane, du droit islamique et des droits fondamentaux de l’homme.

Mais l’étude de Kifâya Ar-râghibîn n’est pas aussi facile que certains le prétendent. Il ne s’agit pas seulement d’une prose poétique ou d’un recueil de consultations juridiques sur des questions d’ordre religieux, moins encore d’une simple description de l’échiquier socioreligieux d’alors. La pensée de cet ouvrage riche en thèmes qu’on peut voir sous différents aspects, est assez difficile à saisir du fait que l’auteur y sous-entend beaucoup de thématiques. Il a été strict sur des sujets qui s’ouvrent forcément sur des pistes de réflexions.

Il s’agit donc d’une œuvre magistrale de critique socioreligieuse qui dénonce les comportements indignes d’une catégorie très importante de la société par le rôle qu’elle est censée jouer dans la population, en l’occurrence les marabouts, en les invitant à revenir à la lumière du Livre Saint. Ces derniers ont inventé des innovations qui n’ont aucun fondement dans la religion islamique, et ce, notamment, sur le plan social et culturel. Des innovations qui se sont mêlées dans la pratique du soufisme au point de travestir ses objectifs et finalités.

Défenseur rigoureux des principes fondamentaux de l’Islam ayant en prédicateur averti, en réformateur engagé, en enseignant et éducateur soigné et discipliné et sans détour, EL Hadji Malick SY pointe le doigt là où le bât blesse sur les pratiques sataniques en violation flagrante du droit islamique et des droits de l’homme.

Considérant qu’il a un grand rôle à jouer dans la recherche de solutions pour éradiquer ces phénomènes, El Hadji Malick SY a pris ses responsabilités pour sonner l’alerte et communiquer sur ce qui doit être fait en urgence.

Le voilà observateur attentif de la société sénégalaise dans ses différentes couches et lanceur d’alertes averti, prenant sur ses épaules la mission de rénover et de réformer la société et le commerce socioreligieux qu’il avait profondément diagnostiqués, détectant alors ses principaux maux avant de prescrire les thérapies efficaces à leur appliquer !

Parmi ses différentes dénonciations dans cet ouvrage, véritable catalogue de références scientifiques- par la floraison des citations et renvois- on peut citer :

  1. Les mariages illégaux :

Véritable phénomène social qui ronge la société, ces mariages contractés pourtant par des hommes de science qui profitent du sentiment religieux d’une catégorie ignorante de la population musulmane, ne sachant distinguer entre us et coutumes et bonne pratique religieuse, du mensonge d’avec la vérité. Ces savants épousent et cohabitent concomitamment avec plus de quatre femmes légitimes, des sœurs utérines, une femme en période de viduité, etc… Il dénonce avec courage pareilles pratiques : 

« D’éminentes autorités religieuses habitant ce terroir où nous vivons se refusent de distinguer le licite et l’illicite ; il en est, dit-on, qui rendent licite le mariage d’une répudiée avant le terme légal de trois mois ; la prohibition d’un tel acte est notoirement connue de tous ceux qui sont versés en droit islamique. » Plus loin, il affirme : « … si la prescription est toujours ainsi, que penses-tu alors de ce siècle que nous vivons, où certains chefs religieux épousent plus de quatre femmes. Alors, qu’on sait qu’une telle pratique est formellement interdite. »

En agissant ainsi, EL Hadji Malick SY entend protéger la famille et particulièrement la femme, contre le concubinage et l’adultère, car elle est le premier lieu d’indentification et d’épanouissement naturel de l’enfant. Elle est un élément essentiel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société, de la religion et de l’Etat.

  1. Les faux marabouts :

El hadji Malick SY met en garde les disciples contre les savants pernicieux et prétentieux, véritables agents de Satan, dont les comportements ne manifestent que mépris pour Dieu et les hommes épris de bon sens. Ces savants imposteurs passent tout leur temps à réciter des litanies sataniques et chèrement obtenues, confectionnées dans le dessein de corrompre les gens afin de les séparer de leurs parents et de leurs proches, puis les dépouiller perfidement de leurs biens, de leur dignité et de leur liberté. Par ces pratiques occultes, les disciples s’agenouillent devant eux et leur obéissent au doigt et à l’œil. Ces marabouts trompeurs ne se soucient guère du licite et de l’illicite. Ils n’obéissent qu’à leur instinct.

Un petit tour dans la mémoire collective, renseigne sur l’attachement des adeptes musulmans soufis à ces croyances mystiques et païennes incompatibles à la foi et à la loi musulmanes. Et sans détour, il dénonce ces tares et travers de sa propre corporation sans courtoisie aucune, plutôt avec une impitoyable rigueur : l’ignorance, la suffisance, la vanité, la jalousie, l’oisiveté, l’avidité, la ruse, les superstitions et les rivalités injustifiées entre confréries entretenues par ces faux marabouts. Leurs traits principaux se caractérisent par leur malhonnêteté qui les pousse à ne pouvoir témoigner du bien mutuellement et leurs relations ne sont bâties que sur l’animosité et l’adversité. Chacun prétend être le meilleur et le seul qui suive le droit chemin. Par jalousie, ils ne veulent pas que leurs disciples connaissent d’autres maîtres et leur font croire qu’ils sont les seuls qui méritent d’être suivis. Chacun valorise sa confrérie et attaque l’autre. Et l’unité des musulmans a beaucoup souffert de cette situation perplexe. L’auteur se désole et dénonce avec véhémence :

« Je dis : l’un des maux les plus graves à notre époque, c’est l’émergence de faux maîtres qui n’ont même pas atteint le degré du commun des fidèles… Je précise qu’il est alors une obligation à tout musulman de ne point accorder une considération aux propos d’un maître qui incite à la haine, la jalousie, la morgue et la division entre les musulmans. Il faut rester attaché à la vérité et à la charia… il incombe au maître d’attirer l’attention de l’adepte sur l’obligation de respecter tous les maîtres dignes de ce nom, ainsi que tous les autres musulmans. Et celui qui dénigre l’ordre de quelqu’un d’autre, dénigre forcément l’islam ; chose qui peut l’entrainer vers l’infidélité sans qu’il ne s’en rende compte ; ainsi qu’il trouve une excuse normale de médire, de haïr et de diviser les musulmans. Puisse Allah nous préserver de l’illusion trompeuse !»

Ce sont ces maîtres chanteurs qui se permettent certaines innovations que la loi islamique a prohibées, qui pensent que la science des vérités essentielles (Haqîqa) est différente de celle de la loi islamique (Charî’a), qui rassemblent les femmes et les hommes dans les séances de Zikr, qui pratiquent la corruption des mœurs, qui favorisent la fraude, qui s’enorgueillissent de leurs ancêtres et enfin qui promettent le salut éternel ou le paradis.

  1. Les cadeaux dits Adiya :

Avec détermination et clarté, EL Hadji Malick SY exprime tout au long de l’ouvrage son souci de préserver le musulman de toute forme d’exploitation et d’aliénation. Il s’émeut de ces marabouts qui ont pour profession la collecte de cadeaux ou de fonds qui dépouillent les disciples de leurs biens. Il ne dénonce cette vie parasitaire qui n’est, ni plus ni moins, qu’une exploitation de l’homme par l’homme. Ils utilisent des méthodes occultes pour mieux ferrer leurs proies et leur promettre des chimères pour mieux asseoir leur système machiavélique. L’auteur considère la collecte de cadeaux comme une forme de corruption parmi tant d’autres. Il dit, citant les propos de Cheikh Ahmed Tidiani Cherif : 

« Le cadeau au temps du prophète PSL était bien un cadeau, mais aujourd’hui, c’est une corruption. Les gens ne font de cadeaux qu’à ceux qu’ils croient capables de régler leurs problèmes. Comme ceux qui sont dans le pouvoir temporel ou religieux. Celui qui n’en a pas, n’aura rien. C’est comme ça, les relations humaines actuellement. Ils ne donnent rien pour l’amour de Dieu ou pour l’affection et la fraternité dans la religion. Ils donnent pour obtenir en retour de vils privilèges. »

Et Serigne Cheikh Ahmed Tidiane SY renchérit : 

« Un petit tour dans cette zone, on se rend compte de l’effet néfaste de cette pratique. Elle a séparé beaucoup de musulmans poussant certains à délaisser voire à détester les autres. Tout cela pour un seul franc de ’adiya. »3 

Oui cette pratique continue à encourager le chômage, à appeler au désordre et à semer dans les consciences toutes sortes de méchanceté, de rancune et de ressentiment, favorisant ainsi une rivalité malsaine et une guerre froide et sournoise entre les disciples dont les dégâts sont loin de s’estomper. C’est pourquoi l’auteur a toujours détesté la ’adiya pour éviter de prendre sur lui un péché, fût-t-il du poids d’un atome.

  1. Vivre au nom de la religion 

Poursuivant son diagnostic sans complaisance, il condamne aussi la campagne forcenée de propagande par ces mêmes marabouts qui accordent plus d’importance aux confréries qu’à la pratique de la religion, substituant l’accessoire à la quintessence, usant de méthodes calomnieuses, hypocrites et mensongères pour diviser les musulmans et récolter des dividendes au nom de la religion. D’ailleurs de quelle religion ! Il se plaint de cette autre façon de corruption, de mendicité et de commerce des « Noms de Dieu » :

« Que Dieu ne brise pas mon espérance et la vôtre. Qu’il anéantisse nos ennemis. Parmi ces maux contre lesquels on n’a pas encore trouvé de traitement : le fait de vivre au nom de la religion qui continue de causer beaucoup de détresse. C’est celui qui cache son apparence rusée pour mettre en exergue son paraître pour tromper les gens et recevoir de leur part des cadeaux au nom de la religion » explique-t-il. 

  1. Prosternation sur les mains des marabouts : 

La prosternation sur les mains des marabouts est un acte d’orgueil et tout le monde sait que l’orgueil est une coercition et une affliction, le Prophète PSL a dit : 

« N’entrera pas au paradis celui dont le cœur cache de l’orgueil fût-il du poids d’un atome » ou « Seul l’orgueil tue l’homme.»

Et en se prosternant sur les mains de ses marabouts, l’homme assimile son Unique Créateur dans Son Royaume et Sa Puissance à ces derniers, ses propres créatures. Ce que ces acteurs d’une telle ignominie ne savent pas, c’est qu’une telle pratique fait trembler les montagnes et gronder le ciel. Et l’homme ne le sait pas ou s’il le sait, s’engouffre dans son entêtement. Il est, certes, ingrat, dit Serigne Cheikh Ahmed Tidiane SY :

 « Pourquoi certains musulmans osent-ils faire ce que Satan a osé faire en vain ? Pourquoi osent-ils faire tout cela au moment où Le Puissant Seigneur dit : «Parmi ses merveilles, sont la nuit et le jour, le soleil et la lune : ne vous prosternez ni devant le soleil, ni devant la lune, mais prosternez-vous devant Allah qui les a créés, si c’est Lui que vous adorez.4 »

Pour éradiquer cette pratique vicieuse qui a failli anéantir le monde, El hadji Malick SY pose le problème :

 « De ces mauvaises innovations qu’ils ont créées et qu’ils n’ont héritées ni des prédécesseurs ni des successeurs, la prosternation sur les mains des marabouts. Ce verset (37) a clairement dit que la prosternation est une singularité exclusivement réservée à Allah. De ce verset, on peut dire qu’il n’y a pas d’argument pour celui qui se prosterne sur la main de son semblable, un être comme lui. »

Le problème posé, il nous met devant nos responsabilités tout en estimant avoir pris les siennes : 

« L’imam a fait son devoir et a respecté ce qu’a ordonné le messager d’Allah qui dit que celui qui voit le blâmable, qu’il le corrige. Donc, l’imam a corrigé ce qu’il a vu. La correction est un dépôt pour lui et ses compagnons. Corrige ce qui est inventé et ne te soucie point du comportement hautain et prétentieux des orgueilleux qui font croire aux gens que leurs mains se substituent à la pierre noire qui se trouve à la Mecque… » 

En luttant contre tous ces phénomènes et agissements nourris et entretenus par ces marabouts chasseurs de sinécures qui ne reculent devant aucun acte contraire au droit islamique, EL Hadji Malick SY entend restituer la liberté, la responsabilité et la dignité à l’homme. Car nous sommes tous doués de raison et de conscience et devons agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité, de solidarité et de convivialité. Sans aucune distinction fondée sur le statut spirituel ou temporel. Nul ne doit être tenu en esclavage ni en servitude ou exploité de quelque manière que ce soit.

Pour se dégager de telles pratiques odieuses et bannir une telle vie inique à jamais, réformant ainsi les mentalités de ces marabouts parasites, EL Hadji Malick SY propose d’appliquer deux thérapies fondamentalement efficaces à ces malades de la société qui leur permettront d’acquérir un minimum de connaissance et de dignité pour accomplir de façon intègre et libre leur devoir envers la religion et la société. Ces deux thérapies sont : le savoir et le travail.

La première chose, et c’est de loin la plus importante, c’est l’instruction. Pour El hadji Malick SY, la lutte contre l’analphabétisme et l’ignorance est une obligation continue destinée à protéger l’homme. Pour jouir de sa dignité humaine, il doit être libre, et cette liberté ne sera possible qu’à condition de remplir un préalable : l’instruction.

La deuxième chose est le travail. Apprendre un métier à un disciple est une manière de lui permettre de jouir de son droit au travail et de le protéger contre toute sorte d’exploitation. Et le mérite d’EL Hadji Malick SY dans ce domaine est d’avoir très tôt compris que la seule façon de résister à une tentation d’assimilation outrancière d’une quelconque personne, est d’être indépendant. Et cette indépendance relève d’une vie bien gagnée.

Pour conclure cette première partie, nous dirons que Kifâya Ar râghibîn  est riche en enseignement intemporels, actuels : peignant des réalités d’hier et d’aujourd’hui, d’une société Sénégalaise ancrée dans ses pratiques animistes et fétichistes. L’auteur aura réussi, au-delà de la critique livresque, à transmuter une bonne partie de sa société, par un travail de sape qui a produit des changements majeurs. C’est cela que nous appelons rénovation et réformation. Il y est parvenu par son courage intellectuel, sa flexibilité et sa détermination.  

Les deux autres questions que le jurisconsulte a traitées dans Kifâya Ar râghibîn et qui retiennent notre attention, sont la Zakât sur l’arachide et l’annonce du commencement et de la rupture du ramadan par la télégraphie.

Savant averti doublé d’une intelligence rare des situations, il fut amené à s’interroger sur ces deux questions juridiques qui ont alimenté la polémique à son époque. En jurisconsulte cultivé et sagace, il usa de son statut de mudjtahid, pour donner une solution à ces deux cas, par un ensemble d’éléments suffisamment concordants.

  1. La Zakât sur la graine d’arachide :

D’abord, au sujet de la Zakât sur l’arachide, l’auteur a évoqué dans son ouvrage le désaccord des savants et a émis une jurisprudence qui oblige les musulmans à s’acquitter de la Zakât sur l’arachide. En effet une vive polémique s’était déclarée sur le caractère obligatoire de la Zakât sur l’arachide ; les savants se posaient la question de savoir si cette graine devait être classée sur la liste des produits imposables. De l’avis de Serigne Abdoul Aziz SYAl Amin, un savant sénégalais avait emmené des graines d’arachide en Égypte pour se renseigner sur la question auprès des jurisconsultes de ce pays. Le savant en question dont EL Hadji Malick SY n’a pas cité le nom voulait tout juste savoir si l’arachide faisait partie des produits éligibles pour la Zakât. Les jurisconsultes égyptiens lui répondirent que rien n’est dû sur cette graine qu’ils ignoraient et que les arabes en général appelaient fùl Sùdani, la fève soudanaise ou la fève noire. Selon toujours Serigne Abdoul Aziz SY Al Amine, ce même savant sénégalais a ensuite consulté Cheikh Sukeiridj, un savant marocain de l’ordre tijân, qui lui donna la même réponse : rien n’est dû sur cette graine.

Mais quelques années plus tard, Cheikh Sukeiridj eut l’opportunité de voir des graines d’arachide et d’être informé sur ses propriétés et caractéristiques. Ces nouveaux éléments d’appréciation qu’il n’avait pas le firent évoluer dans son avis juridique. Il venait de comprendre le caractère révolutionnaire de la graine d’arachide et la place importante qu’elle occupait dans l’économie du pays. Il estima alors que la graine d’arachide devait être donc soumise à la Zakât au même titre que les autres produits agricoles.5

Pour arriver à la conclusion qu’il était nécessaire d’imposer l’arachide, El hadji Malick SY avait utilisé une méthode contraire à celle utilisée par les savants arabes, qui se limitaient à la liste des produits agricoles soumis à la Zakât, jusqu’ici. Le patriarche de Tivaouane avait utilisé la méthode du Qiyâs qui constitue une des quatre sources de référence de la charia. Il s’agit d’un raisonnement juridique par analogie, une technique qui met les sources légales en selle : le Coran, la Sunna et le consensus, qui sont étendues et appliquées pour des cas nouveaux qui se posent à la société musulmane, partant de l’esprit des lois, en l’absence de textes citant nommément une problématique nouvelle.

Cette technique consiste à comparer le cas en litige6 avec une question déjà solutionnée7 ou un cas ancien analogue. Et c’est cette méthodologie appelée Qiyâs, qui a permis à El hadji Malick SY, d’élire l’arachide au rang des produits imposables à la Zakât. Et à la fin de son argumentation, malgré le désaccord des oulémas sur cette question, il dit :

« Les savants de la contrée ne sont pas d’accord sur l’obligation de prélever la Zakât sur cette graine, ma conscience m’a conduit à la considérer comme une graine imposable par mesure de précaution. Je laisse à Dieu QSE toute appréciation.  »8

El Hadji Malick SY a du reste consacré un poème de 18 vers en rimes jumelles, à cette question. Il l’a intitulé « Lumière sur l’obligation de l’aumône légale sur la fève des noirs par précaution »:

  • On doit prélever l’aumône légale sur l’arachide

Par précaution en musulman averti.

  • Par la méthode analogique qui est institué,

Tu peux trouver la solution à tout cas litigieux.

  • À toute graine cultivée et consommée en

  • Général, s’impose son aumône légale.

  1. L’annonce et la rupture du jeûne par la télégraphie :

L’autre question que l’auteur aborde dans Kifâya Ar râghibîn est l’annonce et la rupture du jeune par la télégraphie. Savant ouvert sur ce monde en perpétuelle mutation, EL adji Malick SY a encore utilisé le Qiyâs pour démontrer avec souplesse et fermeté qu’il est licite d’annoncer le commencement et la fin du Ramadan par la télégraphie, dans des contrées enclavées où la communication n’est pas du tout accessible, et c’était le cas de son pays. Il dit :

  1. Notre pays est le prototype de contrée rurale9,

C’est pourquoi il nous faut de la souplesse.

Il s’étonne de voir des savants réfuter la validation du jeûne annoncé par la télégraphie pourtant plus efficace que le feu et les coups de fusil qu’ils approuvent. C’est dire qu’il était un visionnaire très attentif aux nouvelles découvertes. Il fait admettre l’introduction des nouvelles technologies de l’information et de la communication dans la recherche de la lune pour débuter ou finir le ramadan. Il énonce :

  • Le jeûne peut être annoncé par le feu.

Ibn Sirâji l’a confirmé, cher transgresseur !

  • Il peut être aussi annoncé par le coup de fusil

Argumente Ar Rahûnî sans démenti.

  • Ainsi que par la télégraphie selon Hillîchi,

 maître de conférences des instituts d’Égypte.

Et l’histoire lui a donné raison, aujourd’hui, on annonce le commencement et la rupture du jeûne par le canal de la radio, de la télévision, du téléphone et de l’internet.

Tout compte fait, l’islam est une religion qui garantit à l’homme, le statut d’élu de la création divine. Ce statut est consubstantiel à la dignité ; elle est à préserver en tout lieu et en tout temps. Kifâya Ar râghibîn, par l’actualité des thèmes abordés et l’orientation pleine de rationalité dont il est porteur, suffit pour voir en son auteur un rénovateur et réformateur indéniable au Sénégal. Ce livre de critique sociologico-religieuse est un véritable appel à l’islam originel, dépouillé de tout ce qui est édulcorant, outil de mystification, de fanatisation. Un islam tel que conçu et vécu par le Prophète Mohamed PSl, un islam rationnel.

1La prière, le jeûne, la zakat, l’intonation, l’enseignement du Coran moyennant rétribution, etc…

2 Le comportement des marabouts, le foisonnement de la dépravation, la corruption des mœurs, etc…

3 Majhûl Al-umma.

4 Les versets détaillés, v : 37. Voir la citation dans Majhûl Al-umma.

5 Tels que, le radis rouge, le lupin, le carthame, le sésame, l’olive, le petit pois, les lentilles, le pois chiche, le haricot, la fève, le sorgho, le maïs, le riz, le seigle, l’orge, le froment, le blé, les raisins et les dattes sèches.

6 Par exemple la graine d’arachide.

7 Les autres graines comme l’olive, l’espèce semblable.

8 Chapitre 10.

9 Trop enclavée.

EL Hadji Malick SY entre rénovation et réformation

  • SERIGNE MBAYE BA

    SIRAAJ KHADRATOUL MALIKYA

Fier de servir la communauté Tidjaniya