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LA JURISPRUDENCE MALIKITE D’EL HADJI MALICK SY Méthodologie et Fatwas

LA JURISPRUDENCE MALIKITE D’EL HADJI MALICK SY Méthodologie et Fatwas

Seydou DIOUF

  1. Introduction :

EL Hadj Malick, familièrement appelé Maodo (qu’Allah et le Prophète soient satisfaits de lui) a abordé dans la Kifâya un certain nombre de questions juridiques qui n’ont jamais reçu de réponses satisfaisantes de la part des Ulémas.

Il s’agit de la Zakat sur l’arachide, de l’annonce du début et de la fin du jeûne de Ramadan par la télégraphie (as-sawmu bi télégraphî) et des rapports du fidèle avec le pouvoir temporel.

Maodo a résolu ces questions en se basant sur sa propre jurisprudence. Mais, il convient d’abord de signaler une précaution de langage avant d’entrer dans le vif du sujet.

Le mot jurisprudence employé dans le libellé de notre sujet mérite d’être explicité. Ce vocable ne désigne pas seulement l’activité des juges comme on a tendance à le croire de nos jours. Le mot jurisprudence a une double signification.

Dans un sens plus ancien, la jurisprudence signifie la science du droit. Dans un sens plus précis et plus moderne, elle signifie la solution suggérée par un ensemble de décisions suffisamment concordantes rendues par les juridictions sur une question de droit.

L’« Idjtihâd » est le mot arabe le plus approprié pour traduire la jurisprudence. Il désigne l’action de tendre toutes les forces de son esprit jusqu’à leur extrême limite afin de pénétrer le sens intime de la Charia pour y puiser la règle applicable au cas concret à résoudre.

  1. EL Hadji Malick SY était « Mudjtahid » et « Faqîh ».

D’abord, il était « Mudjtahid » parce qu’il pratiquait « l’Idjtihâd. » Aussi, savait-il au besoin, diriger la règle de la Charia dans une nouvelle orientation comme il l’a démontré dans son traité de jurisprudence intitulé la « Kifâya ».

Ensuite, il était « Faqîh » parce qu’il savait exercer son intelligence à défaut de textes sur un cas particulier à résoudre.

Maodo a résolu, d’après sa propre jurisprudence, la question de la Zakat sur l’arachide. Il a abordé cette question dans la Kifâya et lui a apporté une solution bien pertinente au regard des principes du rite Malikite.

Imam Malick (le fondateur du rite) a établi une liste de 20 produits de récolte soumis à la Zakat sans mentionner l’arachide qui, à cette époque, était certainement inconnue en Arabie.

Les anciens Ulémas en avaient dès lors déduit que l’arachide ne devait pas être soumise à l’aumône légale. Mais EL Hadj Malick SY a adopté sur la question une solution contraire à celle de la majorité des anciens Ulémas pour éviter d’être en en porte-à-faux avec la Charia. Il a notamment décidé que, par précaution, l’arachide doit être soumise à la Zakat (ihtiyatiyane).

Il a par ailleurs évoqué la question des rapports du fidèle avec le pouvoir profane. Il estimait que « les chefs religieux ne peuvent être condamnés si leurs rapports avec le pouvoir temporel s’inscrivent dans l’intérêt de l’Islam1 ». Maodo a lui-même vécu en bonne intelligence avec les autorités coloniales dans un contexte politique très difficile.

Rappelons qu’il est né vers 1840 selon les uns, 1850, 1855, 1856 selon d’autres, Or, ces dates sont très significatives, parce qu’elles correspondent à une époque où le système colonial s’établit et se consolide par les grandes conquêtes et par la nomination de Faidherbe comme gouverneur du Sénégal.

C’est également la période où les théoriciens de la colonisation tentent de faire pièce à l’expansion de l’islam en général et de la Tidjaniya en particulier considérée comme l’ennemi irréductible de la présence française en Afrique2.

Les autorités coloniales avaient des appréhensions sur les chefs religieux qui exerçaient une certaine influence sur leurs disciples.

Convoqué à Saint-Louis, Maodo déclara en substance « Mes relations avec les Français seront correctes s’ils m’accordent la liberté d’enseigner de réciter la Wadhifa … Nul ne me fera un plus grand préjudice que de m’interdire d’édifier des mosquées3 ».

Ces réponses désemparèrent le gouverneur de Saint-Louis qui laissa EL Hadji Malick SY rejoindre Ndiarndé. Cependant, pour prouver aux autorités coloniales qu’il n’avait rien à cacher, Maodo s’installa à Tivaouane, escale ferroviaire entre Dakar et Saint-Louis où il continua à diffuser la Tidjaniya et la jurisprudence Malikite.

EL HADJ MALICK s’attacha à faire de Tivaouane une Zaouïa Tidjaniya et une Université Populaire.

Sa haute culture, son charisme, sa vie exemplaire à tout point de vue, son désintéressement explique son aura de sainteté et l’influence qu’il exerce de 1902 à 1922 à travers toute la Sénégambie.

Paul Marty a fait un témoignage en sa faveur en disant : « ce marabout doit être à l’heure actuelle le Cheikh le plus important et le plus instruit de la colonie comme il est le plus lettré et le plus sympathique4 ».

Les occupations d’EL Hadji Malick SY étant l’enseignement, la culture de la terre et le commerce, comme il le précisait lui-même, il fut amené à s’interroger sur une question très préoccupante à savoir, la Zakat de l’arachide.

Maodo avait une approche très visionnaire de l’Islam et de son temps.

  1. La position d’EL Hadji Malick SY sur la question de la Zakât de l’arachide :

L’obligation de prélever la Zakat sur l’arachide n’est pas admise par tous les Ulémas du rite Malikite.

EL HADJ MALICK SY a évoqué ce désaccord dans la Kifâya et a émis un Fatwa sur la question.

  1. La position du problème :

Une vie controverse s’était élevée à l’époque d’EL Hadji Malick SY au sujet de l’obligation de la Zakat sur l’arachide, les Ulémas se posaient la question de savoir si l’arachide devait être soumise à la Zakat au même titre que les autres produits de récoltes imposables.

On raconte qu’un éminent jurisconsulte (aalim) sénégalais avait même emmené des graines d’arachide en Egypte afin de se renseigner sur la question auprès des Ulémas de ce pays. Le savant (aalim) sénégalais, dont EL Hadji Malick SY n’a pas cité le nom, voulait tout juste savoir si l’arachide faisait partie des produits agricoles qui font l’objet de prélèvement de la Zakat.

D’après nos sources, les Ulémas du Caire auraient dit au savant sénégalais que rien n’était dû au titre de la Zakat sur ce produit appelé « foulu soudani » ou « foulu aabid » (la fève des esclaves) en Egypte.

Le même savant sénégalais aurait ensuite interrogé un autre savant marocain Ahmed Sukaîrij sur la question.

Ce dernier lui aurait donné la même réponse : « Rien n’est dû sur l’arachide » lui aurait-il dit.

Mais on dit que la position d’Ahmed Sukaîrij sur la question avait évolué. Car dès qu’il comprit l’utilité de l’arachide au plan économique, il changea d’avis et donna un Fatwa contraire à celui qu’il avait donné auparavant. Il estima que le produit devait être soumis à la Zakat.

La liste qui ne tient pas compte de l’arachide concerne « les grains et fruits destinés à la consommation et susceptibles d’être conservés » tels que blé (qamhe), orge (sair), banette (salt), riz (urz), mil (doukhnou), sorgho (dhioura), fève (foul), haricot (loubia), pois chiches (al hims), lentille (al adas), lupin (tarrmus), pois ordinaire (al bisla), séance (al djialabane), olive (zaitoune) « sim sim » (plante oléagineuse de l’Inde), le carthame (plante oléagineuse), radis rouge (alfajlu), datte (tamr), raisin sec (az-zabib) et le « alas » (une variété de lentille).

Rien n’étant signalé au sujet de l’arachide, comment Maodo a-t-il donc résolu la question ?

  1. La solution consacrée :

EL Hadji Malick SY n’ignorait pas la position du rite Malikite sur la question de la Zakat des produits de récolte. Il a même fait une rétrospective complète des points de vue exprimées par les autres rites sur la question. Mais il savait que la détermination des grains soumis à la Zakat n’entraine pas forcément « la fermeture de la porte de l’Idjtihade ».

Sa démarche est simple : il constate une situation juridique préoccupante et propose une solution. Il dit : « les Ulémas de la contrée ne se sont pas mis d’accord sur l’obligation d’acquitter la Zakat sur l’arachide. Quant à moi j’ai décidé de m’en acquitter parce que cela me paraît prudent5 ».

Il a adopté une solution contraire à l’opinion majoritaire qui n’intègre pas dans la liste des produits de récolte énumérés par Imam Malick. Sa solution n’en demeure pas moins conforme aux principes du rite Malikite dont la base repose sur la « maslaha » ou considération des besoins et des nécessités du moment.

Maodo a dû utiliser la méthode du Kiyas qui constitue une forme particulière d’Idjtihade.

Il s’agit d’un raisonnement juridique par analogie. Une technique au moyen de laquelle les principes établis par le Coran, la Sunna, et le consensus peuvent être étendus et appliqués à la solution de problèmes qui ne sont pas expressément réglementés par eux.

La technique permet de comparer l’arachide aux autres produits de récolte tels que le blé et le mil avec lesquelles elle partage un certain nombre de caractéristiques.

Le kiyas doit avoir pour référence un verset du coran, un Hadith ou un principe d’Idjma (consensus) et ne peut être utilisé pour obtenir un résultat qui contredirait une règle établie par l’une de ces trois sources.

Le « Kiyas » fait par EL Hadji Malick SY ne contredit aucun texte. Il est plutôt fondé sur le Coran, la Sunna et l’Idjma.

  1. EL Hadji Malick a cité trois versets coraniques qui justifient la Zakat sur l’arachide.

D’abord, il a évoqué le verset 267 de la Sourate la « Vache » qui dit : « Ö les croyants ! Dépensez les meilleurs choses que vous avez gagnées et des récoltes que nous avons fait sortir de la terre pour vous ».

Ensuite, il a cité le verset 141 de la Sourate les « Bestiaux » ou Allah dit : « C’est Lui Qui a créé les jardins, treillagés et non treillagés ainsi que les palmiers et la culture aux récoltes diverses et (même que) l’olive et la grenade, d’espèces semblables et différentes. Mangez de leurs fruits quand ils en produisent ; et acquittez-en les droits le jour de la récolte. Et ne gaspillez point, car il n’aime pas les gaspilleurs ».

Enfin, il a cité le verset 103 de la Sourate le « Repentir » qui dit : « prélève de leurs biens une sadaquat par laquelle tu les purifies et les bénies et prie pour eux. Ta prière est une quiétude pour eux6 ».

Cette Sadaquat ne peut être ici autre que la Zakat7 ».

  1. Le Fatwa de EL Hagji Malick se justifie au regard de la tradition du Prophète PSL.

Ce dernier ayant constaté des bagues en argent à la main d’Aïcha, son épouse, lui dit : « Que portes-tu là ? ».

« Je les ai fait fabriquer pour me préparer à tes yeux », répondit-elle

« En donnes-tu la Zakat ? », dit le Prophète.

« Non », répondit Aïcha.

« C’est ta part de l’enfer », dit le Prophète.

D’après cette tradition, les bijoux à l’usage des femmes sont exemptés de la Zakat, mais s’ils sont thésaurisés pour être monnayés en cas de besoin, ils deviennent imposables par mesure de prudence.

  1. Le Fatwa de El Hadj Malick est fondé sur l’Idjma, c’est-à-dire, le consensus des Ulémas.

Cette affirmation qui gagnerait seulement à être nuancée, nous paraît très soutenable.

En effet, il est bien malaisé d’invoquer l’idjma sur un sujet aussi controversé. Mais la controverse s’explique tout simplement par le fait que les anciens Ulémas qui ignoraient presque l’arachide ne pouvaient l’intégrer dans leur doctrine. Par contre, les Ulémas sénégalais qui cultivaient le produit savaient pertinemment qu’il partageait un certain nombre de caractéristiques avec les autres produits de la Zakat.

Aussi, selon la majorité des Ulémas, la Zakat est-elle imposée sur les grains et fruits qui atteignent un minimum légal de cinq « wasq ».

« Point de Zakat au-dessous de cinq wasq » a dit le prophète8.

C’est ainsi que depuis le temps de Maodo (peut être même avant), la plupart des musulmans sénégalais dont les récoltes en arachides atteignent un minimum légal de cinq « wasq » jugent absolument légal d’y prélever la Zakat9.

L’opinion d’EL HADJ MALICK SY est donc loin d’être isolée. Elle est plutôt fondée sur l’Idjma.

  1. Une approche visionnaire de l’islam et de son temps :

EL Hadji Malick SY était très attentif aux problèmes de son temps. Il admit l’introduction des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (les NTIC) au service de l’Islam. Il sut également concilier la foi musulmane et le pouvoir profane.

  1. Un Fatwa révolutionnaire : Les NTIC au service de l’islam

Une autre controverse était soulevée du temps d’El Hadj Malick SY : il s’agissait pour les musulmans de savoir si la charia validait l’information par la télégraphie pour annoncer le début ou la fin du ramadan, comme c’est le cas de nos jours avec les avis et communiqués diffusés par la radio et la télévision.

El Hadj Malick SY s’étonna que ceux qui prétendent détenir le savoir réfutent la validité du jeûne dont le début est annoncé par la télégraphie (as sawmu bi silk télégraphi).

Or, estime-il, la télégraphie est plus faible que la coutume Maghrébine qui consistait à signaler l’apparition du croissant par des tirs de « baarûd » (fusils) ou par l’éclairage des crêtes des montagnes à la vieille de Ramadan, la même coutume, c’est-à-dire le tir des « bararûd » est également fiable au regard du rite Malékite.

Car, d’après Khalil, « l’obligation de jeûner devient général quand l’annonce a été divulguée par deux témoins adl (intègres) ou si la lune a été vue par un nombre de gens non adls, mais de façon, telle qu’ils n’ont pu se mettre d’accord pour mentir ».

La question du « jeune annoncé par la télégraphie » a été soumise au Fatwa des Ulémas de sham (la Syrie actuelle) au XIII siècle de l’hégire, et ils y apportèrent des solutions divergentes. Certains avaient décidé que le « jeune annoncé par la télégraphie » était parfaitement légal. D’autres rétorquèrent que les musulmans ne pouvaient légalement se contenter de la télégraphie pour entamer le jeune de Ramadan.

Le Mufti du Caire Cheikh Elysh a été également saisi de la question, d’après la kifâya et il reconnut que le « jeune annoncé par la télégraphie » était valable, parce qu’il a été consacré par les sultans qui avaient investi beaucoup de moyens dans la télégraphie en vue de faciliter la diffusion des informations intéressant les musulmans10.

EL Hadji Malick SY a appliqué la méthode du kiyas pour soutenir la thèse de la validité du « jeune annoncé par la télégraphie ». Le kiyas, rappelons-le, est le principe de l’analogie qui consiste à rapprocher le nouveau cas en litige d’un cas ancien analogue.

Le cas ancien consiste en la coutume des tirs des « barud » et en l’éclairage des sommets des montagnes.

Tandis que le nouveau cas, l’objet de la comparaison, est l’utilisation de la télégraphie en tant que moyen d’information et de communication.

Ce qui compte dans la télégraphie selon EL Hadji Malick SY reste la foi de son utilisateur, c’est-à-dire la personne qui donne l’information. Cette personne doit être un musulman connu et intègre.

« On ne tiendra aucun compte de l’origine du savant qui a inventé la télégraphie, car l’islam n’est pas contre le progrès de la science11 ».

« Que l’on médite par exemple les innovations combien positives introduites dans l’islam comme les nouvelles formes d’écritures coraniques et l’imprimerie qui ont beaucoup contribué à la préservation du coran12 ».

On peut donc dire sans risque de se tromper qu’EL Hadji Malick SY fut un vrai précurseur de l’utilisation des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) dans l’islam. S’il avait vécu notre époque, il aurait certainement admis « le jeune annoncé par la Radio et la Télévision ».

Il s’est en outre préoccupé d’une autre question non moins intéressante, il s’agit de la relation du musulman avec le pouvoir politique. Il a concilié de manière intelligente la foi musulmane et l’autorité profane.

  1. Une conciliation intelligente entre foi musulmane et pouvoir profane :

EL Hadji Malick SY savait parfaitement concilier la foi musulmane et le pouvoir temporel. Il soutenait que « les autorités religieuses ne peuvent être condamnées si leurs collaborations avec les hommes politiques s’inscrit dans l’intérêt de l’islam13 ». 

Aussi, rapport-t-il dans la Kifaya une recommandation que Imam Malick avait donné à Imam Chaféi en lui disant : « Ne vas pas habiter à la campagne, elle te fera perdre ton savoir. Prends pour allié un homme politique puissant afin que les gens ordinaires (amatu naas) ne te rabaissent pas. Ne rentre jamais seul chez le sultan, et s’il t’asseoir ne te rapproche pas trop de lui. Garde toujours une certaine distance entre vous, car s’il survenait quelqu’un de plus important que toi, alors il te demanderait de te levait pour céder ta place et cela serait gênant pour toi14 ».

On peut également lire dans la kifâya l’histoire du ministre chrétien, Abdune b. Saaid qui avait rendu visite au Cadi Ismaël b. Ishaaq et ce dernier, pour lui faire honneur se leva pour le saluer. Les musulmans qui étaient présents désapprouvèrent son geste. Le Cadi qui comprit la réaction du public déclara après la sortie du chrétien : « J’ai compris votre indignation, mais « Allah ne vous défend pas d’être bienfaisants et équitables envers ceux qui ne vous ont pas combattus pour la religion et ne vous ont pas chassés de vos demeures. Car Allah aime les équitables, Allah vous défend seulement de prendre pour alliés ceux qui vous ont combattus pour la religion, chassés de vos demeures et aidé à votre expulsion15 ».  « Cet homme, conclut-il, règle les problèmes des musulmans et, de plus c’est un Ambassadeur parmi nous16 ».

Le comportement adopté par le Cadi à l’égard du ministre chrétien est correct et légal au regard de la sunna du prophète.

L’islam consacre l’inviolabilité de la personne de l’Ambassadeur : « Jamais, les Ambassadeurs envoyés auprès du Prophète Mouhamad P.S.L n’ont été molestés. Un jour l’envoyé d’une nation étrangère s’était permis au cours de l’audience que lui avait accordée le Prophète de proférer des paroles outrageantes. Mohammad P.S.L lui dit : « Si tu n’étais pas un envoyé je t’aurais fait mettre à mort17 ».

Les relations qu’EL Hadji Malick SY entretenait avec le pouvoir colonial doivent être situées dans leur véritable contexte. Il entendait gagner sa vie pour le travail de la terre. Il aurait même quitté Saint louis pour Ndiandé pour ne plus continuer à se laisser entretenir par son beau-père, Massamba Diery Dieng.

« Pendant la nuit, dira-t-il, je me suis mis à réfléchir sur ma situation sociale et j’ai abouti à la conclusion suivante : Baye Massamba Diery m’héberge avec ma femme et se fait l’obligation de payer mes dettes. Je dois le quitter pour gagner ma vie par le travail de la terre. Voilà la raison de mon installation à Ndiandé18 ».

Maodo s’installa à Ndiandé, localité située près de Kelle sur la route de Saint-Louis où il perpétua le rôle du chef religieux travailleur et protecteur des « talibé » et des « baadolo ». Ceux qui le fréquentaient étaient au moins certains de pouvoir échapper aux exactions des « ceddo ».

Or, les chefs religieux étaient étroitement surveillés par le pouvoir colonial qui avait le dessein de subordonner l’ouverture des écoles coraniques à une autorisation préalable21.

Maodo inquiétait les « toubabs », car bien que Toucouleur d’origine il parlait et enseignait dans six langues de la Sénégambie ; son audience gênait les autorités coloniales. Ensuite il était affilé à la Tijaniya, une « tariqa » suspecte et considéré comme une forme de résistance à la présence française en Afrique.

Les autorités coloniales n’aimaient pas les marabouts qui avaient beaucoup de disciples et qui échappaient à leur regard. Par conséquent, Maodo fut convoqué à Saint-Louis où il devait répondre à de nombreuses questions portant sur ses activités et ses relations avec les Français.

Il répond en ces termes « Mon métier, est la culture de la terre et le commerce, car notre religion exhorte le travail (…) mes relations avec les Français seront correctes s’ils m’accordent la liberté d’enseigner, de réciter la « wadifa », de construire des mosquées et de dispenser la culture islamique19 ».

A court d’arguments, le Gouverneur de Saint-Louis lui proposa de choisir un site pour s’installer. Sur le conseil de Massamba Diery Dieng, il s’implanta à Tivaouane où il vécut en bonne intelligence avec l’autorité coloniale comme en témoigne le mandement qu’il adressa à ses talibés à la date du 3 Rabi 1e an 1333 de l’hégire : « Ô Musulmans, disait-il, sachez que nous devons vivre en bon accord avec le gouvernement français (…) Avant l’entrée des Français dans notre contrée, aucun de nous ne pouvait circuler dans le pays sans être armé ainsi qu’en Mauritanie et au Soudan. Quand la France n’aurait rendu aucun autre service aux Sénégalais que d’empêcher les indigènes de se dépouiller, de s’égorger les uns les autres et de répandre le sang, ce bienfait nous suffirait à lui seul20 ».

Ces propos doivent également être situés dans leur contexte : lors de la Première Guerre Mondiale, la France avait invité ses populations coloniales à prendre part à la défense nationale. Et tous les chefs religieux sénégalais, y compris Maodo, adoptèrent une position très positive envers la France.

  1. Conclusion :

L’imposition de l’arachide nous parait tout à fait légale. Tout agriculteur musulman dont les récoltes en arachide atteignent le minimum imposable doit normalement en acquitter la zakat.

La liste des produits imposables établie par le rite Malikite pêche par son indigence, Maodo a bien fait de l’élargir afin de l’adapter au contexte local, car, il sait que le droit n’est pas figé. Le Fiqh est l’intelligence de la loi, il évolue en fonction des conditions de temps et de lieu.

La démarche de Maodo est fondée sur une méthodologie juridique irréfutable. Elle est justifiée par une nécessité religieuse : il est très respectueux du droit islamique. En faisant prélever la Zakat sur l’arachide par mesure de précaution, il n’a apporté aucune innovation dans ce domaine, car le Prophète PSL en avait presque décidé ainsi en ordonnant à Aïcha son épouse de prélever la Zakat sur ses bijoux qui en étaient pourtant exemptés.

Si le paysan musulman ne paie pas la Zakat sur sa production arachidière qui constitue sa principale source de revenus sur quoi le paierait-il alors ?

La vision est constructive. L’islam n’est pas contre la science. Maodo a joué un véritable rôle de précurseur dans ce domaine.

Aussi a-t-il développé la culture de la paix communautaire. Il a institutionnalisé la paix dans ses rapports avec le pouvoir temporel, tout comme il a fait preuve d’ouverture et de tolérance à l’égard d’autres sources ou courants confrériques.

L’originalité de Maodo réside dans les leçons d’humilité qu’il n’a jamais cessé d’administrer à ses contemporains. Il fut un fin lettré doublé d’un grand poète. Son « Khilassu Dhaahub » « l’or pur, sur la vie du prophète » est composé de 1058 vers. Il a institué le « burde » qui prélude le « Mawlude » annuel de Tivaouane. Bien qu’il fût l’auteur de poèmes jugés aussi beaux que ceux de l’Imam Bousseyri sur le Prophète, il préféra le « Burde » par humilité se conformant ainsi à la Sunna du Prophète qui avait prié pour que la « Miséricorde devine soit sur celui, qui sachant ce qui sied à sa condition accepte par humilité une position moindre »

Enfin, son humilité fut encore plus manifeste quand il démentit lui-même la légende qui fut tissée autour de son pèlerinage. On racontait que lors de ce pèlerinage ayant trouvée les portes de la Kaaba fermées il aurait prié et toutes les portes furent ouvertes.

Maodo a démenti cette légende en disant : « les disciples veulent m’honorer mais ils ignorent à quel point, ils m’humilient. Le pèlerinage s’effectue à des moments précis. J’ignore si les portes se sont ouvertes mais, je suis sûr et persuadé que toutes mes priéres formulées furent exaucées ».

1 Oumar Gueye : Viatique des postulants d’EL Hadji Malick SY, mémoire de maitrise d’arabe. FLSH. UCAD. P.14.

2 Oumar Gueye, Op Cit. p. 20.

3 Oumar Gueye, Op. P. 20.

4 Oumar Gueye, Op. p. 20.

5 EL Hadji Malick SY, La Kifâya, Chap X. p. 125.

6 Kifâya, p. 116 à 117.

7 Le Saint Coran et la traduction en langue française du sens de ses versets, p. 203.

8 Cinq « wasq » représentent l’équivalent de cent dirhams, selon certains Ulémas V sur la question d’Abderrazaq Gassoum conférencier de la banque islamique de développement sur la Zakat.

9 Un « wasq » représente à peu près le 1/10 de la récolte évaluée par une charge d’âne d’arachide, chaque fois qu’un paysan musulman totalise 10 charges, il en prélève 1/10 pour la Zakât.

10 Kifâya, chap XII, p. 132.

11 Kifâya, op. cit. p.1.

12 Kifâya, Ibid, p. 1.

13 Cf. Gueye (Oumar) op. cit p. 20.

14 Une curieuse coïncidence doit être constatée ici. Ce commandement existe presque dans l’évangile. Jésus aurait dit : lorsque tu seras invité par quelqu’un à des noces, ne te mets pas à la première place, de peur qu’il y ait parmi les invités une personne plus éminente que toi et que celui qui vous a invité l’un l’autre ne vienne te dire : cède ta place à cette personne-là. Tu auras alors honte d’aller occuper la dernière place. Mais lorsque tu seras invité, va te mettre à la dernière place, afin que, avant que celui qui t’a invité vienne, il te dise : mon ami monte plus haut. Alors il te fera honneur devant tous ceux qui seront à la table avec toi. Cf. Evangile, selon Luc, Chap. 14. V.8.

15 Le Coran. S. 60. V. 8 et 9, Kifâya O. 139.

16 Cf. Ahmed Rechud, Islam et le droit des gens. Rec. De cours de l’académie de droit int 1937. II t 60, p.421.

17 Oumar Gueye, Op cit. P. 19.

18 Oumar Gueye, Op cit, P. 19.

19 Oumar Gueye, Ibid.

20 Ibidem.

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